Où le collectionneur d'art traditionnel d'Afrique s'aperçoit que le subjectivisme l'emporte sur le positivisme.
Je ne sais pas ce que mes amis collectionneurs en pensent mais rien n'est plus excitant pour moi que de trouver un masque inconnu au fond d'une malle ou d'un entrepôt .
Cette histoire m'est arrivée plusieurs fois mais j'aimerais vous compter celle de ce beau masque, qui n'est plus dans ma collection aujourd'hui et dont il ne me reste qu'une seule photo (je le regrette encore). Je trouvai cet objet au Burundi chez un ami marchand, Jean-Didier Ngoma, à Bujumbura dans le quartier de Bwiza. Il était accompagné d'un masque Sukuma que j'eus bien du mal à identifier à l'époque. Pourtant, malgré la peur naturelle de l'inconnu et du faux, je l'achetai, excité par sa patine sombre et attiré par le vide magnétique de ses yeux rectangulaires ainsi que sa barbe aux contours énigmatiques.
Assez rapidement, je formai une hypothèse tanzanienne, compte tenu de son camarade, en le classant comme Kwere par référence à un masque fameux (1)... Mais sans jamais être totalement convaincu, car mon masque n'avait pas la traditionnelle patine terreuse de nombre d'objets tanzaniens. De plus, sa barbe, que je reliai a quelque collobe, me sembla à l'époque fort différente.
Bien des année plus tard, la vue d'un étrange masque collecté au Congo en zone Sungu Tetela dans les alentours de Lusambo (2) me fit rejoindre cette région que j'avais initialement écartée à cause des yeux rectangulaires. Mais les couleurs et les rayures de ce dernier repoussèrent toute identification hâtive.
Puis, c'est en achetant chez un bouquiniste le classique "Zaïre" de Joseph Cornet que je trouvai un masque assez proche à la page 176 (3). Comble de joie, le masque était lui aussi non identifié, avec une simple provenance "Nord-Est du Zaïre"... Je n'avançai guère dans ma quête d'identification (un Graal du collectionneur) mais l'objet n'en devint que plus attachant.
En définitive peu importaient les longues et systématiques recherches érudites issues d'une tradition positiviste somme toute bien française . Au diable Comte et Durkheim et que vive le subjectivisme de Max Weber ! Le frisson de la découverte et le plaisir de collecter une œuvre d'art inconnue offrent au passionné une extase doublée d'une émotion esthétique sans cesse renouvelée.
(1) Publié dans Marc L. Felix/Maria Kecskési : Tanzania. Meisterwerke afrikanischen Skulptur/ Sanaa za mabingwa wa kiafrika. ed. by Jens Jahn, texts by Marc L.Felix & , München: Fred Jahn, Haus der Kulturen der Welt & Städtische Galerie im Lenbachhaus, 1994.
(2) Publié dans Marc L. Felix : Beauty and the beasts. Kifwebe and animal masks of the Songye, Luba and related peoples from the collection of Stewart J. Warkow. Catalogue de l'exposition à The African Museum of The SMA Fathers, Tenafly, New Jersey 2003.
(3) Publié dans Joseph A. Cornet : Zaïre. Peuples-Art-Culture. Fonds Mercator 1989.